Interview de Richard Canal par Bobi

Bobi :Question piège: est-tu un homme libre? Quelles sont tes chaines externes et quelles sont tes chaines internes?

Richard Canal :Libre dans ma tête ça c'est certain. Libre physiquement, ça c'est sur que non. La société contraint de manière énorme et je crois qu'il est impossible de vivre libre totalement à l'intérieur d'une société. Mon concept de la liberté, c'est la liberté à l'extérieur de la société. On revient toujours à cette notion de contrainte qui s'impose sur la personne. Une liberté tu peux l'avoir autant que tu veux dans la tête, tu ne l'aura que restreinte dans tes affaires. Je parle de société en tant que structure sociale, c'est à dire telle quelle est avec la politique. Qu'est ce qui est l'outil structurant maintenant d'une société, c'est la politique, la vie citadine. Il y a plein d'unité fondamentales qui structurent ta société que je réprouve. Je n'aime pas la vie politique, je n'aime pas la ville, donc tout ces éléments fondateurs de la société, ils existent et tu es obligé de vivre avec, on arrive à une sorte de fourche caudine.

Bobi :Et dans ta tête tu te considère comme étant vraiment libre. Est-ce que tu as encore des préjugés, ou des barrières internes que t'arrives pas a franchir. Est-ce qu'il y a des sujets qui te font régir de manière organique?

R.C. :Non. D'une manière générale, c'est outrecuidant de dire qu'on est libre partout. D'abord on peut pas avoir recouvert tous les aspect du monde, donc on peut pas avoir testé sa liberté face a ces réalités. Face à celles que je cotoie je me sens libre.

Bobi :La liberté est relative en fait, c'est ca?

R.C. :Ouais, je pense que ce concept est important.

Bobi :Bon, maintenant, question qui tue, est-de que tu me permet de t'appeller le Thiefaine de la SF?

R.C. :Là aussi, c'est réducteur, parce que tu me file une étiquette.

Bobi :C'est une comparaison.

R.C. :C'est une comparaison...

Bobi :Et comme je sais que t'aime bien Thiéfaine, c'est une question piège.

R.C. :J'aime bien Thiéfaine... Je l'aime mais jamais à 100%, déjà. Donc je ne pourrai jamais être le Thiéfaine de la SF. Quelque part je ne m'y reconnaitrai pas. Même si beaucoup de choses en lui m'interessent. En plus si tu peux m'expliquer le joint qu'il y a entre SF et Thiefaine...

Bobi :La poésie.

R.C. :Oui, la poésie, d'accord je m'y reconnais. La poésie, oui. La liberté d'expression, oui. Le suréalisme parfois, oui. Quelques aspects, oui. J'ai beaucoup plus de points commun avec lui que j'en aurai jamais avec Michel Sardou. Tu m'aurai traité de Michel Sardou de la SF, euuh... Tu m'aurai dit Léo Ferré de la SF, ça m'aurai bien plus aussi.

Bobi :Qu'apporte a ton avis le fait pour un écrivain de SF d'être a la fois auteur de science-fiction et scientifique.

R.C. :Le fait de pouvoir répondre a des accusations de gens un peu coincés sur lien entre science et science-fiction. Ca se limitera a ça. J'estime que n'importe quel auteur de science-fiction même si il n'est pas scientifque, peu faire de la très bonne SF. Je suis pas sectaire. J'entend actuellement, c'est courant, on ne peut pas faire de SF sans avoir une connaissance très précise de l'état actuel de la science. Je suis tout à fait contre.

Bobi :Qu'as tu à répondre aux détracteurs de la SF qui disent que c'est une littérature pour les enfants?

R.C. :Déjà je crois pas que la SF, soit accessible avant un age avancé, c'est à dire à l'adolescence. Je pense que c'est une littérature déjà pas pour enfants mais pour adolescents. Il faut adapter. La SF s'est adaptée. Il y a actuellement des livres pour enfants sur la SF, mais il y a eu une démarche volontaire des auteurs de SF pour s'adresser aux enfants. Alors si on veut dire que c'est pour deumeurés, la il faut s'insurger contre ce genre d'aprioris. C'est pas pour enfants d'une part parce que ca demande une volonté d'implication, que n'a pas l'enfant, une ouverture d'esprit que l'enfant acquiert, mais au fur et à mesure de ses démarches volontaires, pas libéré tel qu'est l'enfant à l'origine. Il y a des présupposées qu'il faut acquérir, petit à petit pour lire de la SF. La vraie SF, je parle. Moi mon but ce n'est pas de faire ce genre de SF, au contraire je veux faire une science-fiction accessible au plus grand nombre. J'ai toujours critiqué les gens qui font de la SF pour la SF. Donc je veux convaincre quand j'ecris, ces gens qui croient que la SF c'est pour les enfants. Qu'ils lisent un de mes bouquins et qu'ils se rendent compte que c'est autre chose.

Bobi :Alors il y a une question qui me vient comme ça, est-ce que tu as déjà pensé à écrire des scénarios pour enfants, un livre pour enfants, une BD pour enfants, ou quelque chose comme ça?

R.C. :Non, ça ne m'est jamais venu à l'idée. Disons que j'ai encore beaucoup de domaines à explorer. Là tu sais que je suis passé de la science-fiction au polar, du polar je suis en train de passer à la littérature générale. Je tate côté cinéma. J'ai commencé un peu à mettre un peu de variété la dedans. Peut-être qu'un jour j'arriverai à la science-fiction pour enfant.

Bobi :Pas forcément de la science-fiction pour enfants. Vraiment des histoires pour enfants, c'est à dire des histoires qui soient vraiment fantasmagoriques, dans lesquelles tu veux les emmener quelque part en les faisant rêver.

R.C. :L'arquétype c'est le petit prince?

Bobi :Ouais... ouais.

R.C. :Peut-être que j'aimerai écrire.., tout le monde d'ailleurs aurai aimé ecrire le petit prince je pense. Parce que c'est l'un des rares livres qu'on relit encore maintenant, et que les enfants peuvent lire.

Bobi :Parce quand on le lit on redevient enfant.

R.C. :On redevient enfant. Il y a l'exemple de Peter Pan, l'original. Il y a Alice au pays des merveilles. Il y a quelques bouquins, comme ça que tu peux reprendre maintenant, et reculer dans le temps et redevenir gamin. Il y a beaucoup d'autre bouquins pour enfants que tu lis, qui te tombent des mains, mais il y a la super litterature pour enfants. Ouais, ça me passionnerai, mais je pense que c'est difficile, c'est très difficle, c'est très ambitieux.

Bobi :A propos de Cyberdanse Macabre, comment est-ce que t'as sorti de ta tête le personnage de Marcel Balduriez, le pédophile ?

R.C. :Je me suis foutu dans la peau du personnage, ça a été assez dur. J'ai passé une bonne semaine difficile à vivre ce truc là, mais je voulais à tout prix entrer dans ce personnage, le comprendre, et essayer surtout de le faire comprendre aux autres. Parce que quelque part je pensais l'avoir compris, mais temps que j'étais pas rentré dans sa tête, j'avais pas vu la démarche réelle d'un gars comme ça.

Bobi :Si t'as reussi à faire ça, tu pourra le faire avec un psychopathe, un serial killer, ...

R.C. :Je l'ai déjà fait! L'une de mes premières nouvelles a été l'histoire d'un sérial killer. Je suis rentré dans sa tête. D'ailleurs mon idée a été reprise plein de fois dans des films américains, c'était il a bien 20 ans de ca. J'avais écrit une nouvelle d'un étrangleur en série, et je rentrais dans la tête du personnage. Pourquoi j'y rentrais, parce que j'avais trouvé une astuce d'écriture, j'étais dans la peau d'un flic qui captait des pensées du tueur en série. C'était une astuce littéraire, mais j'étais rentré dans la peau de ce personnage. [...] Mais j'en suis ressorti avec une énorme compassion pour le personnage [Balduriez]. Non pas en étant sale comme disent les gens, mais au contraire en ayant énormément de pitié pour ce personnage, j'ai envie de tendre la main.

Bobi : Alors! La question à la con, mais très à la con. J'ai lu dans une interview que tu as donné a 00h00.com, que tu aimes que les aspects scientifiques d'un roman aient l'air vrai, et que pour ça tu te cultives. Qu'est ce qu'en est-il?

R.C. :Ca dépend, si c'est sur l'aspect Cyberdanse macabre, on était contraints par le but de la série de faire quelque chose de scientifiquement adéquat. On voulait qu'apparaisse les futures recherches dans les dix années qui viennent, ce qui va éclore sur le marché. En revanche si on revient du côté de la science-fiction, pour moi c'est complètement bateau ce principe de la science dans la science-fiction. Pourquoi, parce que quand on s'échappe dans le futur, on prend une totale liberté, et même si on prend un fondement qui est réel, le petit epsilon qu'on va mettre, c'est totalement farfelu. Donc entre admettre que l'on construise une science totalement bidon et rajouter ce qu'on veut après, ou se baser sur la réalité et ajouter le epsilon, pour moi c'est de la fausse science, ça n'existe pas, ça n'est pas vérifé, donc ça n'est pas de la vraie science. En tant que scientifique, je ne peux pas cautionner tout ce qui apparait dans les bouquins de science-fiction, parce que ça peut très bien se produire, comme ça peut très bien ne pas se produire. La caution scientifique sur la science-fiction, c'est l'un des rares thèmes qui me sort vraiment par les oreilles.

Bobi : Bon ok, alors je vais pas te donner la suite de ma question...

R.C. :Si si tu peux! On peut en discuter.

Bobi : En fait c'était une question à la con, la suite de la question c'est: " Alors, tu les tient les 50g de la nouvelle les " heureux damnés "? ".

Bobi : Question piège, accroche toi. Qu'est ce que tu aimerai entendre dire tes lecteurs quand ils ferment un de tes bouquins?

R.C. :La premiere chose, je pense, c'est: " J'ai vécu ailleurs ". "J'ai pas vu le monde tourner ". Mon but c'est de sortir les gens d'eux mêmes, du monde où ils vivent, de les amener vers des voies qu'ils n'auront pas exploré, qu'ils n'auront pas eu l'idée d'explorer, de les faire réflechir quelque part. Ne pas imposer des voies, mais montrer que ces voies existent, donc qu'ils se donnent la peine de les considérer, même s'ils rejetent après en bloc, ca m'est égal. C'est simplement leur donner des hypothèses, les faire germer dans leur têtes. Ce qui me déplairait le plus c'est l'indifférence par rapport à mon bouquin. C'est surtout ça.

Bobi : Deuxième question piège: Toulouse a accouché, entre autres, des deux meilleurs auteurs de sf française, est-ce un hazard?

R.C. :Je te répond par une autre question piège: quels sont les deux auteurs?

Bobi : Est-ce que la proximité de l'Espagne et de la Catalogne de 36 a influencé ton côté anarchiste bucolique?

R.C. : Je pense que comme j'ai vécu en Ariège, j'ai eu un moment de mon enfance où j'ai été marqué par un camp. Il y a un camp en Ariège où on avait parqué tout les fugitifs de l'Espagne, et j'avais lu des témoignages de ce camp là où il y avait des anarchistes au moment où Franco avait reprit le pouvoir, qui avaient été parqués comme des bêtes dans ce camp. et je me disais que juste à côté de chez moi il y avait eu, on peut pas dire un camp de concentration, mais un camp au conditions difficiles, et ça m'a marqué parce que quand on regarde l'histoire, ça se passe toujours ailleurs, loin de chez nous, et quand c'est à côté ...

Bobi : Tu es assis devant la télévision quand tout à coup tu aperçois une guêpe sur ton poignet, que fais-tu?

R.C. : Alors si je suis le spectateur moyen, je ne vois pas la guêpe étant donné que je suis hypnotisé par l'écran, c'est la première remarque. La seconde remarque ...

Bobi : Je vais t'aider, faut pas chercher à répondre à la question.

R.C. : Bon il y a un piège.

Bobi : En fait c'est une des question dans Blade Runner du Voigt-Kampf, c'était pour voir si tu la reconnaissais. C'était la question de culture générale, c'était pour les fans de SF.

Bobi : Question philosophique maintenant. Parmi les multiples niveaux de compréhension possibles de la Malédiction de l'éphémère, le plus juste ne serait-il pas la métaphore de l'auteur enfermé dans le tabou de l'origine de sa créativité. Je m'explique. La comparaison serait: le Red c'est le tabou, commun à tout les artistes d'ailleurs, le Dyx serait la substance stimulante, haschish, nicotine, oxygène, ou quoi et les Zed qui grillent le cerveau serait la pensée créatrice. En conclusion, le fait que quand on prend une substance on se rend compte que ca nous rend plus créatif donc on en prend plus, et on s'aperçoit au bout d'un moment que ça va pas parce que c'est pas nous, c'est la substance.

R.C. :Oui, ça oui. Là tu as tapé très juste. D'abord ce qui est évident c'est que c'est un roman sur l'enfermement. L'enfermement créatif c'est encore plus évident d'autant plus que j'ai mis en scène en parallèle des marchands d'art, donc que ça soit des pièces, des scultures ou des bouquins, c'est exactement la même chose. J'ai pris les œuvres d'art parce que c'est beaucoup plus visuel. Et le bouquin traduit très bien l'angoisse du créateur, la confrontation avec la réalité, la brûlure que tu reçois. Parce qu'en tant que créateur normalement tu es plus ouvert, plus sensible, tu laisses tomber des barrières pour essayer de choper le monde, et ça te brûles. Les créateurs ont une membrane par rapport au monde qui est beaucoup plus poreuse que les autres. Il faut que tout rentre. Après tu as un travail d'assimilation, après tu as un travail technique, mais c'est pas ça la vérité de l'auteur. La vérité de l'auteur c'est la manière de capter la réalité. De la prendre par la gueule, de la régurgiter, soit de la crier, soit... il ya cinquante manières de la restituer après. Tu peux la restituer en polissant tes mots, en hurlant comme Céline... je prends des exemples un peu poussés... Mais je pense que la première tare de l'écrivain, c'est d'être ouvert. C'est une tare, c'est la malédiction de l'éphémère.

Bobi : Dernière question: expression libre. Tu m'as dit que ton avis sur la SF était plutôt sanglant en ce moment, alors voilà, lâche toi, donne nous ton avis sur la SF en général.

R.C. :Quand j'ai commencé à écrire de la SF, j'avais devant moi un territoire de liberté. On avait cinquantes manières d'écrire de la SF elles étaient toutes acceptées, les éditeurs n'étaient pas sectaires. Et puis au fur et à mesure que c'est devenu une littérature reconnue, avec des éditeurs en place, on s'est mis à faire de le promo, on est en train de lancer des auteurs comme des marques de savon. J'entend parler d'auteurs qui me disent: " J'ai calculé mon nom de telle manière pour que ça ait plus d'impact sur le public ", " j'écris ça parce que il y a tel pourcentage de la population qui pense ça ". On en arrive à des romans préfabriqués, genre film américain où il y a tant de scènes d'amour, tant de scènes d'action, etc. Il me semble que la spontanéité du genre est en train de crever. On laisse plus les auteurs survivre, les auteurs qui vont au-delà. Il y avait des bouquins comme un bouquin sur lequel je reviens souvent qui s'appelle Dalgraine de Samuel Delami. C'est un bouquin absolument fou. C'est écrit de manière continue, ça explore des univers inconcevables, c'est parfois illisible, parfois génial, mais c'est un bouquin qui n'a pas de ligne directrice, il est ce que j'appellerai un bouquin anarchique, dans le sens relevant de l'anarchie, mais pas anarchiste. Et ça c'est le genre de bouquin qui arriverai actuellement sur le marché, se verrai refusé. Je sens que les bouquins que je pourrai écrire maintenant ne s'inscriraient plus dans la politique qui est mise en place par les éditeurs et donc je vais vers d'autres voies.