Interview de Richard Canal par 00h00.com

00h00.com : Pouvez-vous vous présenter brièvement ?

R. Canal : Je m'appelle Richard Canal et je vis en Afrique depuis plus de vingt ans. Je suis auteur de SF, de polar et j'écris des scénarios parallèlement à ma carrière officielle de maître de conférences en informatique. Quatorze romans, une cinquantaine de nouvelles. Je travaille dans le domaine de l'intelligence artificielle et plus particulièrement des systèmes multi-agents, à l'université Cheikh Anta Diop de Dakar que je quitterai en juin 1999 pour une destination encore inconnue.

00h00.com : Si vous n’étiez pas auteur de SF, qu’est-ce que vous auriez aimé réaliser ?

C. : Je pense que j'aurais travaillé dans le cinéma au niveau de la réalisation. Ou bien dans l'archéologie ou bien encore dans la publicité. Je pourrais citer des dizaines de métiers qui m'auraient passionné.

00h00.com : Pouvez-vous définir les auteurs et les livres qui vous ont influencés en tant qu’écrivain ? Quelles ont été vos lectures de jeunesse ? Que lisez-vous en ce moment ?

L. :J'ai toujours eu un penchant pour la littérature du Sud, (Faulkner, Steinbeck, Tennessee Williams, Carson McCullers, Eudora Welty) la littérature sociale et coup de poing (Dos Passos, Hemingway, Melville, Steinbeck encore). Du côté de la SF, les auteurs qui m'ont marqué sont Bradbury, Sturgeon, Simak, toute la frange humaniste. Et bien sûr, Ballard. Parmi les auteurs récents, je citerais Reisnick, Jeter, Gibson, Shepard. Parce qu'ils mettent en avant l'homme, parce que l'histoire n'écrase jamais les personnages et parce que l'écriture est belle.
Actuellement, je relis Conrad à la Pléiade. Et c'est toujours aussi fort, malgré le temps.

00h00.com : Faites-vous un travail de documentation avant de commencer l’écriture d’un roman ? Quelles d’informations recherchez-vous, où et comment faites-vous vos recherches ?

C. : Certains romans nécessitent une documentation, d'autres non. Cela dépend du thème, mais en général, je préfère parler de ce que je connais bien. Comme l'Afrique, le cyber, l'informatique, etc.

00h00.com : Avez-vous un souci d’exactitude ? Quelle est l’importance de l’exactitude en SF ?

C. : Des idées me viennent souvent à la lecture d'articles scientifiques que je rencontre dans ma carrière de chercheur. Dès que je parle de quelque chose qui existe, mon souci d'exactitude est extrême. Mais la SF étant une littérature d'anticipation, je crois qu'il est vain de prétendre à une quelconque exactitude dès l'instant où on se projette dans le futur. Il faut alors parler de cohérence. Les idées que l'on propose ne doivent pas choquer le sens de la logique du lecteur. Elles doivent « paraître » exactes. Ce ne peut être de toute manière qu'une « fausse exactitude ». Dès lors, le débat sur l'exactitude dans la SF perd tout son sens.

00h00.com : Comment écrivez-vous ? D’un seul jet ? Par petits morceaux, sur une assez longue durée ?

L. : J’écris en continu, linéairement, dès lors que je me lance dans la rédaction proprement dite du roman. À raison de 5 pages environ par jour, faites le calcul vous-même…

00h00.com : Comment construisez-vous vos personnages ? Représentent-ils une partie de vous-même, ou quelqu’un de proche ou que vous avez connu ?

C. : Comme tout écrivain, je suis une éponge. Je capte, je m'approprie, des gestes, des réactions, des sentiments, des psychoses, des manies et avec cette pâte, je reconstruis des personnages qui ne sont ni vous, ni moi, mais qui ont un peu de vous, un peu de moi. Qui sont donc, dans leur intégrité, totalement originaux puisqu'ils génèrent de nouvelles tendances dues à la confrontation de choses différentes, parfois contraposées, parfois harmonieuses.

00h00.com : En quoi vous inspirez-vous de la réalité, de la vie quotidienne pour écrire un roman de SF ? (caractères humains des personnages, les lieux, les thèmes et sujets traités...?)

C. : Un roman de SF fait beaucoup plus appel à l'imagination qu'un roman ordinaire. Un auteur de SF a le devoir d'étonner, d'émerveiller et pour cela, il doit inventer de nouveaux comportements, de nouveaux lieux, de nouvelles créatures, de nouvelles technologies.
Mais je pense, qu'en dehors des civilisations extraterrestres, certains sentiments, comportements, des humains que nous mettons en scène doivent nous rester infiniment proches. Nous émouvoir, nous faire rire, nous interpeller. Même si parfois, il est possible d'introduire de nouvelles choses dans le mental, la psyché des protagonistes, dues à l'intervention dans l'univers d'éléments étrangers.

00h00.com : Quel est votre univers imaginaire de prédilection ? Quelles sont vos sources d’inspiration pour le créer ?

C. : Je me suis beaucoup appuyé sur l'Afrique, car sur ce continent j'étais comme un extraterrestre. Si on étudie les coutumes des peuples du monde, on se rend compte qu'il existe beaucoup de choses susceptibles de nous étonner autant que si on avait affaire à des êtres d'une autre planète. Chaque civilisation de notre Terre est une petite planète, relisons Lévi-Strauss.

00h00.com : Peut-on retrouver des traits communs à tous vos livres ?

C. : Le combat pour la justice, l'anarchie, la violence, l'amour, le jeu, l'enfermement, la compréhension entre les peuples, la langue, sont autant de thèmes que j'ai explorés dans mes livres et que l'on retrouve à divers degrés. Mais je pense que la manipulation, les masques et la liberté sont les plus forts, ceux qui apparaissent comme des constantes dans mes écrits.

00h00.com : Si vous deviez définir le genre de la SF à des non-spécialistes, comment la définiriez-vous ?

C. : À mon sens, la SF ne peut pas se définir. Oui, elle peut se caractériser par le fait qu'on peut dire que telle œuvre relève de la SF, mais non, il est impossible de la borner. Car c'est la littérature par excellence de la liberté. Même la réalité ne nous limite pas. Et c'est la force de cette littérature. Et sa faiblesse, car tout étant permis, le n'importe quoi peut apparaître au détriment du lecteur.
Je ne me reconnais dans aucune chapelle, aucune vague. Je me sens en dehors des mouvances car je me fais un devoir de ne jamais réécrire le même livre.

00h00.com : Quels genres avez-vous exploré en SF ?

C. : Space opera, cyberpunk, speculative fiction, il me semble avoir effleuré tout ce qui se fait en SF. Mais surtout, je crois avoir imposé un style, une vision, un univers de telle sorte qu'un lecteur ouvrant n'importe lequel de mes livres, pourra dire « c'est du Canal ».

00h00.com : Pouvez-vous dire comment vos livres ont évolué des premiers à aujourd’hui ?

C. : L'évolution a porté surtout sur le style. Je me suis efforcé de l'épurer, de le peaufiner afin de frapper plus fort l'esprit du lecteur.

00h00.com : La « french touch » : Existe-t-elle, d’après vous ? Pouvez-vous la définir ?

C. : N'y a-t-il pas quelque vanité à essayer de définir une nouvelle vague, à prétendre y appartenir ? Disons qu'après une époque où la SF a perdu les faveurs de la presse, a été sous-médiatisée, on se retrouve à la fin du millénaire sous les projecteurs d'une presse titillée par l'an 2000. Des auteurs se voient projetés ainsi sur le devant de la scène, donnant l'impression qu'il existe un renouveau dans le domaine. Ce dont je ne suis pas certain. Il est de bon ton de jouer sur cet élan, de relancer une littérature qui trop souvent a été rejetée, sous-estimée et je trouve cela réjouissant. Mais qu'adviendra-t-il de la SF une fois le soufflé retombé ? C'est à ce travail de longue haleine qu'il faut se consacrer en produisant des œuvres accessibles directement au grand public, des écrits qui ne demandent pas une culture spéciale, un vocabulaire pour initiés, mais qui font appel à notre vision collective du monde et des êtres.
Les livres qui ont été les plus grands succès de la SF sont des livres quasiment mainstream, où on ne croule pas sous les termes spécialisés qui font la joie des amateurs de SF.

00h00.com : Quelle est la grande mutation de notre époque ? (progrès scientifiques, mutations sociales…) Quels sont les faits marquants de la fin de ce xxe siècle et qui influenceront d’après vous la littérature de SF ?

C. : Le génétique, l'informatique, les réseaux, l'effondrement des idéologies politiques au profit des logiques multinationales, la conquête de l'espace voilà ce qui aura marqué le siècle. Et qui devrait alimenter la SF à venir même si son rôle est d'après moi, d'aller plus loin, d'anticiper les prochains mouvements, les prochaines découvertes. Un auteur de SF doit être déjà loin, au quatrième millénaire. Le passé ne peut pas lui servir de référence.

00h00.com : Utilisez-vous Internet ? Et à quelles fins l’utilisez-vous ?

C. : Oui, comme source d'information, et surtout comme moyen de communication par le mail vu mon éloignement/isolement africain. Comme outil publicitaire aussi puisque plusieurs sites évoquent mes livres et ma bibliographie. Comme outil de création également.

00h00.com : Comment envisagez-vous un possible échange entre Internet et la SF ? (l’édition en ligne ? le livre interactif ?)

C. : Ces deux points me paraissent importants même si je rajouterais le concept de création en ligne. Créer un univers, ses lois, ses populations, ses coutumes peut être le fruit d'une collaboration sur un site auquel accéderaient les milliers de fans SF.

00h00.com : Face à la grande quantité produite chaque année en SF, qu’est-ce qui manque à la SF pour qu’elle soit reconnue dans son intégralité et par un plus grand nombre de lecteurs ?

C. : Je vais être dur : la qualité d'abord ! D'écriture, surtout. L'accessibilité, ensuite : arrêtons d'écrire pour une poignée de fans. L'accès aux médias : à quand une émission de télévision ? Quand verra-t-on les livres SF dans les émissions littéraires ? Il faudrait réunir dans l'histoire de la SF, une cinquantaine d'ouvrages clés qui seraient choisis par des lecteurs non SF prêts à risquer l'expérience. Les promotionner auprès du grand public. Faire rentrer cette littérature à l'école et l'université de manière plus appuyée. Enfin, demander au petit monde de la SF d'arrêter de se regarder le nombril et de se complaire dans son ghetto. Écrivons pour le plus grand nombre, pas pour réjouir les plus ultras de la corporation. C'est une lutte qui devrait commencer aujourd'hui, en profitant du coup de flash amené par l'an 2000. Sinon nous devrons attendre, je le crains, un nouveau millénaire.