Agressologie, 1981, 22, 6 : 231-240

Des motifs de pixélisation, de la mémoire et des phénomènes oniriques

par C. RIFAT

Dans un précédent article (Rifat, 1980), j'exposais quelques uns des résultats auxquels j'étais parvenu au travers de l'analyse de lastructure informationnelle des rêves quant à une meilleure intelligence de la schizophrénie et par là même du phénomène de conscience en général.

Le présent article expose quelques réflexions additionnelles à propos des motifs de pixélisation et des états de conscience associés, de la mémoire et des phénomènes oniriques.

Il est sans doute utile de rappeler,au préalable,le sens de certains termes qu'il explicitait. Le moi informationnel (MI) correspond à «cette région de la mémoire qui conserve et spécifie tous les paramètres qui nous rendent conscients de nos bornes psychiques et corporelles». Le modélisateur auto-programmable (MAP) désigne «cette région de la mémoire qui diffuse l'environnement synthétique au moi informationnel» existant dans un espace-temps imaginaire et dont l'information,de source strictement endogène,simule le monde réel à partir des données qu'il enregistre. Ces deux régions sont liées par des voies, voie 1 de rappel spécifique et sélective d'une information stockée dans le MAP, voie II de rappel non spécifique et non sélective,des remémorisations brusques,voie IlI diffusant une information non atténuée, structurée dans le temps et dans toutes les modalités sensorielles (fig. 1 et 2),voie IV ou voie rémanente,qui diffuse une information sans cesse semblable,d'ou son nom.

Le pixel désigne les éléments d'une information, comparable,par commodité,aux pièces d'un puzzle contenant chacune une quantité d'information spécifique. Le moi informationnel conscient de l'éveil se caractérise par un motif de pixélisation stable, celui du rêve par un motif de pixélisation métastable, celui du type schizophrène par un état dysdérépixelisé à désatténuation partielle; les substances habituellement dénommées hallucinogènes, du LSD au delta-9 tétrahydrocannabinol, «désatténuatrices» dans ce mode de compréhension, facilitent le fonctionnement des voies 1 et II. Le Moi informationnel de l'éveil n'est qu'un pic duContinuum des Moi anciens,stockés dans la Mémoire.

Le modèle du quasi-trou

La conscience mosaïquielle de l'homme qui rêve ressemble-t-elle à un puzzle,dont le MAP aurait enlevé certaines pièces informationnelles (trous),ou contient-elle des pixels équivalent à des pièces manquantes (quasi trous) ?

L'existence même d'une structure ayant pour but d'atténuer les rappels du MAP au MI montre indirectement, me semble-t-il, que les mécanismes de mémorisation du système nerveux central sont fidèles et que l'atténuateur représente ainsi une nécessité évolutive. Si les mécanismes de mémorisation, chez les mammifères, n'eussent été intrinsèquement fidèles, l'évolution n'eût sans doute point eu besoin d'inventer un mécanisme d'atténuation : cela va de soi.

Ainsi le modèle du quasi-trou suppose que les motifs de pixélisation des Mi oniriques contiennent souvent de vieux pixels qui structuraient notre Mi d'une époque donnée de notre passé. Si je rêve, par exemple que je suis en train de voler et que je ne réalise pas que ce fait est une impossibilité sans un artifice quelconque cela n'est pas dû au fait que mon Mi onirique ne contient point l'information en tant que telle qui me démontre normalement cette impossibilité à l'état d'éveil, mais plutôt parce que mon motif de pixélisation contiendrait, en fait, de fort vieux pixels qui structuraient mon MI d'éveil avant que je n'apprisse que voler était impossible sans l'aide d'un artifice mécanique.

En ce cas le motif de pixélisation de ma conscience onirique serait alors comparable à une mosaïque d'événements informationnels dont les éléments présents n'appartiendraient point au même continuum temporel stocké dans le MAP.

Ainsi donc, si dans une période onirique, j'ai,momentanément,oublié certains éléments d'information ce ne serait pas parce que ces éléments d'information auraient réellement disparu purement et simplement du motif de pixélisation de ma conscience,en y laissant un «trou informationnel» ,mais plutôt parce qu'ils auraient été remplacés par d'autres éléments équivalent à des retraits informationnels. Bien sûr,le modèle du quasi-trou ne peut exclure,non plus,que les motifs de pixélisation onirique puissent vraiment contenir des trous informationnels car nous ne disposons d'aucun moyen de vérification de l'un ou l'autre modèle. Quoiqu'il en soit,pour identifier une information exogène ou endogène il faut, de toute évidence, que le motif de pixélisation de notre MI contienne des récepteurs informationnels permettant cette identification, ceux-ci provenant d'un savoir précédemment acquis au travers d'un phénomène de mémorisation. Sans ces récepteurs, notre Mi ne pourrait rien identifier donc ne pourrait être conscient, c'est une La Palissade!   (Figure 1)

A. Moi Informationel (MI) conscient

La structure de ce Moi Informationnel varie,peu à peu,au  court de la vie d'un individu. A un temps quelconque et relativement court,sa structure informationnelle est stable et composée d'une multitude de pixels, ou «éléments mémoriels élémentaires», ayant un certain ordre rigide d'ajustement les uns par rapport aux autres, ici symbolisé par ce motif damier où chaque carré est un pixel différent des autres. Le MI est donc comparable à un puzzle dont les éléments seraient les pixels ; à l'état d'éveil le motif de ce puzzle sera toujours le même, chaque pixel conservant une «position» invariante par rapport aux autres.

Ce n'est que par apprentissage que la structure du MI se modifie,lentement,au cours du temps. Apprendre équivaut donc à remodeler la trame des pixels du Mi.

La notion de pixel provient de l'analyse de certaines caractéristiques typiques que l'on retrouve,constamment,lorsque l'on veut comprendre la logique des rêves.

B. Modélisateur auto-programmable (MAP)

Le MAP contrôle,rigidement,la tissure informationnelle du Mi et en fabrique,ainsi,une même structure stable,à chaque état d'éveil. On peut comparer le MAP à la personne qui mettrait en place les pièces d'un puzzle appelé Mi.

Le MAP est ce que l'on appelle communément la «mémoire», cela entendu dans toutes ses modalités sensorielles. Il peut s'assimiler à une sorte de banque à pixels en contenant une quasi infinité dans ses casiers.

Si l'on tient compte des expériences bien connues de Penfield, il faut conclure que sa localisation anatomique est diffuse et associée à chaque canal sensoriel. De plus, pour ceux qui ont l'habitude de faire parfois des rêves conscients,ou qui ont expérimenté certaines substances hallucinogènes,il est surprenant de constater avec quelle finesse et qualité celle-ci projette ses programmes,en cela que l'on ne peut pas constater un bruit de fond résiduel dans les choses qui nous sont présentées: tout apparait aussi réel que le réel !

Que signifie ce fait ? Que les traces mnésiques sont extraordinairement stables ; comment pourraient-elles l'être autrement que par l'utilisation d'un code,plus ou moins similaire à ceux que nous avons inventé,nous-mêmes,quant à la transmission,sans distorsions,d'une information d' un engin spatial éloigné à la terre, transmission codée de telle façon que même le rapport signal/bruit diminuant,lentement,au cours du temps à mesure que le véhicule s'éloigne,il reste toujours possible de reconstituer,parfaitement,l'information émise tant que le signal demeure encore légèrement supérieur au bruit de fond (codage numérique). Il y a là sans doute tout un domaine de recherches à explorer,surtout pour ceux qui connaissent bien les théories mathématiques de Fourier.

C. Atténuateur

Système qui réduit la quantité de bits d'une information rappelée,consciemment ou non,par le Mi lorsque celui-ci en fait la demande au MAP.

D. Le système de blocage des efférences mobiles (SBEM) est mis en jeu lors des phases de rêve et inhibé à l'état d'éveil.    (Figure 2)

A. Moi Informationnel (MI) onirique

Sa structure informationnelle se modifie,constamment,au cours du temps par réajustement de pixels,sur commande du modélisateur auto-programmable ou MAP, ce qui est,ici, symbolisé par le motif quadrillé différent du MI et par les divers pixels qui circulent entre le MAP et le Mi.

B. Modélisateur auto-programmable (MAP)

Il fabrique,continûment,un MI variable dont la structure dynamique est évanescente. Il agit à deux niveaux : structuration du MI et,simultanément,diffusion d'un programme imitatif du monde réel, le monde extérieur, perçu à l'état d'éveil. De ces deux interactions naissent les histoires oniriques et leur «étrangeté» pour celui qui y réfléchit à l'état d'éveil conscient, sans le concept préalable de pixel.

C. Atténuateur

L'information diffuse du MAP au Mi,de façon non atténuée,au travers de la voie IV et de façon atténuée (comme à l'état d'éveil) en voie 1.

Dans les rêves conscients,le rêveur peut apprendre à désatténuer les rappels en voie 1. Par exemple, il pense à quelque chose dans une certaine modalité sensorielle et cette chose apparaît,presque aussitôt,de façon claire et non sombre dans le canal sensoriel en question.

En voie I I I  l'information issue du MAP forme un tout structuré,dans tous les canaux, information qui imite,de façon quasi parfaite,le monde réel : c'est le monde intérieur.

E. Détecteurs sensoriels

L'élévation du seuil de sensibilité dans tous les canaux sensoriels indique que moins d'information parvient au MAP. Quand,cependant,elle y arrive cela peut donner le stimulus déclencheur d'une histoire onirique. Les détecteurs sensoriels n'envoient plus d'information au MI directement mais uniquement par l'intermédiaire du MAP.

F. SBEM

Suite à la désatténuation en voie I I I  ou,sans doute,simultanément, le SBEM entre en marche jusqu'à la fin de la phase onirique.

Une hypothèse à propos des éléments de conscience les pixel-clefs et les pixel-serrures

Nous avions remarqué que l'analyse de la structure informationelle des phénomènes oniriques montrait que la «conscience» n'était pas, en fait une monade mais était composé de petits éléments de «conscience» dont les relations informationnelles,invariantes à l'état d'éveil, nous donnaient cette illusion qu'elle forme un tout indivisible. Si nous ne pouvons certainement point encore définir objectivement ce qu'est la conscience en l'état de nos connaissances du système nerveux central nous sommes en mesure, à mon avis, de proposer, grâce à l'étude de la structure informationnelle des phénomènes oniriques, quels événement informationnels nécessaires et suffisants doivent,obligatoirement,se réaliser avant qu'un phénomène de conscience puisse, par la suite, apparaftre.

En premier lieu, nous admettons que la conscience est la résultante de la sommation de petits éléments de conscience représentés par les pixels. Peut-on trouver dans les phénomènes oniriques des indices qui puissent donner quelque hypothèse quant aux premiers événements inforrnationnels nécessaires et indispensables afin de faire débuter ensuite, au travers de mécanismes encore non-identifiés, un petit élément de conscience ? La réponse à cette question repose sur l'existence d'une catégorie particulière de rêves.

Il existe, en effet, une catégorie de rêves dans laquelle la personne qui rêve reconnaît et se souvient (c'est-à-dire est «consciente» selon les définitions floues usuelles) d'objets, de personnes, d'événements, de souvenirs quelconques, etc, qui n'ont aucune existence dans le monde réel exogène.

Les premières fois que je notai ce genre d'observation je dois dire que je restai incrédule, me demandant comment il était possible que je pusse reconnaître et me souvenir,lors d'un rêve,d'événements que je sais parfaitementinexistants dans le monde exogène à ma mémoire. Mais les observations s'accumulèrent et je dus bien me rendre à l'évidence : on peut être «conscient» de faits non réels lors du rêve.

En voici un exemple:

Je me promène sur un sentier et arrive dans une cité imaginaire. Dès mon arrivée en cette ville je sens une impression de retour vers un lieu connu de mon enfance; voilà que je «reconnais» des immeubles, des jardins, des allées et des maisons et me «souviens» que «j'habitais ici lorsque j'étais enfant». Partout la ville est en fête : ici des lampions orangés, là des bougies chatoyantes ou guirlandes pailletées... et je suis très ému en face de ces «retrouvailles» de mon passé !!! Puis,à mon réveil,je découvre que tous les événements de ce rêve n'ont jamais existé dans le monde réel exogène.

Autre exemple: je rencontre une vieille dame imaginaire que «je connais fort bien». La revoyant je me «souviens» «qu'il y a trois semaines- je lui avais confié de petits spathoeda campanulata (arbre tropical,aux brillantes fleurs rouges semblables à des tulipes d'où son nom usuel de «tulipier»). Elle me montre alors mes arbres et je m'aperçois avec satisfaction «qu'ils ont bien poussé depuis ces trois semaines»...

Ces rêves montrent un fait important, aussi bien du point de vue scientifique que philosophique:pour être «conscient» de quelque chose il faut et suffit qu'il y ait une certaine activité fonctionnelle dans les circuits nerveux s'occupant d'engendrer le phénomène de conscience et cela en toute indépendance du contenu informationnel de l'événement dont on est «conscient».

Conclusion étonnante et qui a de quoi surprendre, mais on ne peut y échapper. Nous devons dès lors redéfinir le concept de pixel de telle façon qu'il puisse décrire ce phénomène de façon satisfaisante, sans pour autant l'expliquer puisque nous ne connaissons quasi rien encore à ce domaine. Et nous ajoutons,ainsi,un nouveau niveau d'approximation dans notre description des phénomènes de conscience.

Un élément de conscience naît (naîtrait) lorsqu'un petit élément d'information,simultanément détecté et intégré dans plusieurs modalités sensorielles,est comparé,et par conséquent identifié,à un élément analogue stocké dans le modélisateur auto-programmable. On pourrait comparer ce phénomène informationnel à la reconnaissance,par un récepteur membranaire,de son ligand stéréospécifique. Ainsi un petit élément de conscience naît lorsqu'il existe des «récepteurs informationnels» dans la mosaique des événements informationnels se déroulant dans le motif de pixélisation d'un moi informationnel (MI).

Les pixels, tels qu'ils ont été auparavant définis,paraissent être ces récepteurs informationnels. Il existerait,ainsi,deux sortes de pixels : les pixels récepteurs et les pixels «ligands». Les pixels «ligands» , éléments intégrés d'information provenant de multiples détecteurs sensoriels (ou de source endogène dans le cas du rêve ou de la dysdérepixélisation) devraient être comparés, pour être identifiés, à des éléments analogues et complémentaires,stockés dans le MAP (qui sont en fait les pixels de notre première définition),afin d'engendrer ensuite, au travers de mécanismes inconnus, un petit élément de conscience.

Je baptiserai,désormais,ces récepteurs informationnels hypothétiques les pixels-serrures et les pixels «Iigands», les pixels-clefs. Ainsi, chaque fois qu'un pixel-clef «se lie» informationnellement à un pixel-serrure, un petit élément de conscience naît dans la mosaique d'événements informationnels qu'est la conscience, celle-ci résultant de la sommation de tous ces petits événements.

Nous entendons mieux, dès lors, jusqu'à un certain nouveauniveau d'approximation, que la conscience puisse effectivement être absolument indépendante de la qualité directement réelle ou non de l'information contenue dans les pixels, ce qui serait important étant la comparaison d'un pixel-clef avec un pixel-serrure correspondant en totale indépendance de leur contenu informationnel respectif provenant directement ou non de la réalité.

Durant la phase onirique du sommeil le MAP fabrique,simultanément, semble-t-il, des pixels-clefs et des pixels-serrures. Quelle pourrait être la base neurophysiologique de ce curieux phénomène ?

Quelques propositions d'expérimentation à faire sous substance désatténuatrice

 De nombreuses années ont sans doute été perdues dans l'étude des phénomènes de rappels en négligeant les substances désatténuatrices qui eussent dû être étudiées par la voie informationnelle et non psychiatrique.

Il est certainement tout à fait possible d'accomplir des mesures quantitatives en ce domaine. Combien de bits,par exemple,sont nécessaires pour spécifier une image tridimensionnelle désatténuée statique ? Quelle est la vitesse d'extinction d'une information qui s'atténue après passage au travers de l'atténuateur ?

Les images désatténuées complexes,et imitatives du monde réel exogène,procèdent-elles d'interactions et de compositions à partir d'algorithmes ?

Il a ainsi été remarqué que lorsque l'on administre une substance désatténuatrice à un sujet et qu'on le place ensuite dans l'obscurité, celui-ci commence,tout d'abord,à apercevoir des motifs géométriques divers; puis apparaissent les images tridimensionnelles complexes, imitatives du monde exogène que nous percevons à l'état d'éveil.

Il m'est aussi arrivé de contempler des images de ce genre durant quelques secondes,juste au réveil : des grilles de points sur un fond coloré, images s'atténuant,subitement,dès la moindre tentative de remuer un membre encore engourdi par le sommeil. Il m'est aussi arrivé de contempler des motifs très atténués (images transparentes), au réveil également, et contenant certaines régularités géométriques.

Ainsi je me réveillai un jour, quelque part dans une petite ville des Philippines(San Carlos) et j'avais été,la veille,très préoccupé par la récolte de graines de fruits tropicaux ; juste au moment où j'ouvris mes yeux je pus contempler,durant quelques secondes, projeté en transparence sur le mur de ma chambre, une image composée d'un motif régulier de fruits tropicaux (anona réticulata) arrangés aux noeuds d'une maille carrée. Précisons que, comme dans le cas des rappels en voie rémanente, cette image transparente n'était visible que lorsque je clignais des paupières, durant le bref instant d'obscurité des paupières closes.

L'existence de motifs géométriques précédant l'apparition d'images complexes ou les terminant reflèterait l'existence d'algorithmes bien précis.L'étude de la structure de ces images, en cherchant des invariants,permettrait d'avoir des précisions à propos de ces algorithmes supposés. Par exemple, on placerait un sujet dans une semi-obscurité à distance déterminée d'un écran éclairé et gradué par un quadrillage de petits carrés de dimensions déterminées et on lui apprendrait, en quelques séances, à dessiner,sur l'écran, par projection de ce qu'il contemple, les images désatténuées qu'il percevrait. On serait en mesure de recueillir ainsi un ensemble de données quantitatives et l'on pourrait accomplir diverses mesures: mesures angulaires des figures géométriques, appréciation des distances séparant deux motifs lors d'une réitération de ce motif en une grille géométrique, etc. L'on pourrait aussi procéder à une étude des couleurs en plaçant un référentiel des diverses tonalités colorées et en apprenant au sujet à comparer les couleurs d'une image désatténuée par rapport au référentiel. Tout ceci constituerait un ensemble de données quantitatives qui révèlerait certainement des invariants.

Par la suite, l'étude de ces invariants permettrait d'échafauder des hypothèses quant au fonctionnement des systèmes de rappels et indirectement de la mémoire. Par ailleurs, par rapport aux images imitatives du réel, l'on pourrait procéder à une étude des vitesses de transition d'une image à une autre et là aussi rechercher d'éventuels invariants. L'on pourrait tenter d'accomplir des mesures sur l'écoulement du temps dans le monde onirique par rapport au monde exogène,etc.

A propos des effets divers de canabis sativa

Le delta 9-tétrahydrocannabinol,contenu dans le canabis sativa (ainsi que ses autres isomères psychoactifs, delta 8-THC, etc.) (j'utiliserai dans ce paragraphe le nom de pantagruelion,suggéré dans l'article précédent), possède,à petite dose,un effet désatténuateur prédominant tandis qu'à forte dose apparait un effet dérepixélisant marqué. De plus, il semble posséder une spécificité certaine au niveau des systèmes intégrateurs du système nerveux central qui nous renseignent sur la perception de nos limites corporelles. A haute dose le pantagruelion provoque une sorte d'anesthésie subjective de la perception des limites corporelles : on ne sent plus son corps et l'on se sent dans un état très désagréable où l'on a l'impression d'être situé quelque part entre l'éveil et le sommeil sans pouvoir basculer ni dans un sens ni dans l'autre, ce qui engendre un sentiment profond de solitude et par conséquent d'angoisse, sentiment encore amplifié par l'allongement subjectif du temps perçu.

Toujours est-il que la perte de la sensation des limites corporelles induit des déformations notables de son auto-perception corporelle: on se sent soudain posséder des limites de n'importe quel objet visuel imaginaire. On peut se sentir être devenu une fleur, une tige de blé oscillant sous le vent ou un métronome en tic-tac, etc. Ce genre de sensations par contre est fort agréable, soi dit en passant. Mais quel cauchemar ne faut-il pas affronter avant de ne les pouvoir ressentir! Les systèmes qui normalement nous renseignent sur les bornes effectives des sensations corporelles ne fonctionnant plus correctement, un mécanisme est,spontanément,enclenché qui met en rapport des images mémorisées quelconques avec ces systèmes, en lieu et place des informations qui devraient normalement leur parvenir. Ces systèmes n'associent plus,alors,que ces images endogènes au lieu des données qu'ils reçoivent normalement des récepteurs périphériques.

Certains faits tendent à montrer que la désatténuation est,probablement,efficacement bloquée à l'état d'éveil par la quantité d'information reçue et traitée par le système nerveux central (Rifat 1980). On pourrait,dès lors,supposer que le pantagruelion, ou ses congénères également psychotropes, bloque,quelque part,la réception ou le traitement des informations qui normalement nous renseignent sur nos bornes corporelles (à l'exception du système visuel), ceci engendrant cet état d'anesthésie subjective et la fluidité de nos perceptions corporelles qui s'en vont et viennent au gré d'associations d'images endogènes légèrement désatténuées.

En agissant simultanément à deux niveaux:

a) Désatténuation légère en mode visuel b) Perturbation des mécanismes nous rendant conscients de nos bornes corporelles, le pantagruelion provoquerait ainsi une association des images légèrement désatténuées parvenant à la conscience avec ces mécanismes et cela engendrerait,dès lors,ces sensations quasi-magiques d'être autre chose que soi.

Ce phénomène est vraiment fort étonnant et plaisant à constater ; si, par exemple, sous l'effet du pantagruelion je me mets à osciller avec mon corps cela provoquera, immédiatement,dans ma conscience,l'apparition d'images endogènes d'objets oscillants : un métronome tictaquant, une tige de graminée se balançant à la brise, une feuille au vent, une sinusoide sur un écran, etc.,et,aussitôt,je me sentirai,littéralement,devenir ces objets ou phénomènes oscillants!

Le pantagruelion,à haute dose,a,d'ailleurs,pour effet d'induire des états corporels oscillants ressemblant aux transes, car détachés du contrôle volontaire mais pouvant cependant être contrôlés au besoin. On sent,soudain,son corps parcouru de motifs moteurs divers qui s'amplifient ou s'atténuent au gré des images désatténuées associées. Ces états, une fois appris de cette façon, peuvent aisément s'accomplirà volonté par la suite.

A petite dose déjà, le pantagruelion provoqueune sensation d'allongement considérable du temps, sans doute explicable par une perturbation de la vitesse d'atténuation des données sensorielles provenant au système nerveux central et en particulier au MAP.

Ainsi nous pouvons supposer qu'à l'état d'éveil normal l'atténuateur atténuerait,très rapidement,à vitesse constante,les informations provenant des détecteurs sensoriels au SNC. Sous pantagruelion,ces informations persisteraient,d'une façon redondante,à chaque instant, provoquant par conséquent une augmentation objective du temps nécessaire à les traiter; cela engendrant,à son tour,ce phénomène subjectif d'un temps ralenti, chaque petit instant vécu se réitérant,en une ronde,sur les suivants, en une oscillation amortie.

A petite dose le pantagruelion provoque,aussi,une sensation de nouveauté de tout ce qui est perçu, qu'il s'agisse d'images, de sons, de goùts, etc. Tout paraît plus intensément vécu, dans toutes les modalités,et l'on a l'impression de revivre des instants d'enfance, quand le monde nous paraissait encore si grand et inconnu. Ceci s'expliquerait par un blocage du phénomène d'habituation, effet sans doute purement central: la mémoire diminuerait son influence sur les perceptions déjà connues, d'où ce sentiment de nouveauté enfantine.

A haute dose, par contre, la perception de l'environnement change totalement et de façon fort rapide. Ainsi au lieu de ressentir une impression de nouveauté, on se sent soudain, en une fraction de seconde, vivre toute autre chose, par exemple un instant passé. J'ai expérimenté,légèrement,ce phénomène : il m'a confirmé de l'utilité du concept de pixel. J'ai pu,en outre,en percevoir,directement, en temps réel,à l'état d'éveil,et me rendre compte que ce sont bien,en effet,des éléments d'associations multimodes, tels que je les avais définis au travers de l'étude des phénomènes oniriques.

Ainsi je me trouvai,alors,dans une chambre,en face d'une bibliothèque quand,soudain, sans crier gare, je me sentis être,simultanément,dans deux autres chambres où j'avais été autrefois et qui comportaient une similitude de motif : une bibliothèque, des rangées de disques et une radio. L'impression était si forte que je me sentais,plus ou moins, simultanément dans cette première chambre réelle et les deux autres chambres endogènes!

De plus, apparemment, cette sensation de se trouver parfois ailleurs basculait,rapidement, d'un état à l'autre entre les trois motifs perçus : le réel et les deux endogènes, Par ailleurs, j'ai observé,chez un sujet,qu'à plus haute dose ce début de dérepixélisation devient général et la personne en question est soumise,littéralement,à un bombardement intense de pixels venant et s'en allant rapidement de son motif de conscience,en fonction des perceptions extérieures qui provoquent leur apparition par motifs homologues. A tel point que,soudain,cette personne ne sait plus où elle en est et où se trouve la réalité exogène : elle vit un instant en lisière de deux mondes. Sur un autre sujet j'ai observé une transition catastrophique de sa personnalité normale vers un motif de pixélisation datant d'un âge compris entre 7 et 8 ans !

 Ce fut pour moi une observation vraiment spectaculaire et inattendue. Cette personne de sexe féminin et japonaise,(Kazoué)qui avait fumé une petite quantité de canabis sativa,se mit,un instant,à écouter de la musique et,soudain, elle ne me reconnut plus et commença à me parler en sa langue maternelle, le japonais, comme si elle avait tout oublié de l'anglais qu'elle utilisait auparavant!

Je lui donnai,alors,5 mgr de lorazépam et elle s'endormit et retrouva,ensuite,au réveil, quelques heures plus tard, son motif de pixélisation habituel et me fit part justement que durant cet instant de dérépixelisation (environ une heure) elle ne savait plus qui j'étais, où elle était et qu'elle était, en fait, en train de revivre un instant particulier de son enfance,dans la ville d'Aquita,au Japon,lorsqu'elle avait entre 7 et 8 ans !

Elle était alors persuadée qu'une amie à elle l'avait amenée chez elle, dans un endroit qu'elle ne connâissait pas, et que j'étais une personneinconnue qu'on ne lui avait jamais présenté.

Cet exemple particulier plaide en faveur du modèle duquasi-trou dans les phénomènes oniriques.

Le lorazépam paràit bloquer,assez,bien les effets du pantagruelion s'il est ingéré quelques heures auparavant. Ingéré après il semble en diminuer,voire supprimer,les effets psychotropes, après un certain temps de latence ; mais mes observations sont bien trop empiriques pour l'instant. Ceux qui n'ont aucune expénience personnelle à ce sujet feraient bien de lire «Les paradis artificiels» de Baudelaire. Il y décrit admirablement bien divers effets de l'extrait entier du canabis sativa.

De la confusion qui règne entre les termes de mémoire et de rappel

Les expériences concernant l'étude de la«mémoire» ont confondu, jusqu'ici,et continuent de confondre,deux termes entièrement différents en un seul terme de «mémoire» alors qu'il eût dû être subdivisé en les termes,sémantiquement adéquats,de mémoire et rappel.

La définition stricte,et donc correcte d'une mémoire,est un lieu où est stocké une certaine quantité d'information. Tout ce qui vient en aval,après la mémoire,peut être,grossièrement, regroupé sous le qualificatif de rappel,bien que ce terme puisse,à son tour,se subdiviser en termes plus précis.

La mémoire, à proprement parler, présente objectivement un dilemme ; elle paraît bien,à jamais,totalement inaccessible à l'observation directe car ce que nous savons d'elle nous parvient toujours au travers de systèmes de rappels. Lorsque nous parlons de la «mémoire», en fait, nous ne faisons toujours qu'inférer à partir de données collectées au travers de systèmes de rappels et c'est là un fait majeur que nous devrions toujours garder présent à l'esprit dans nos déductions et analyses.

Ainsi,les études supposées de la «mémoire»,ces dernières années,se sont,en fait,attachées à étudier les systèmes de rappels propres aux structures biologiques envisagées et non le phénomène de mémoire proprement dit. Lorsque l'on apprend,ainsi,à une souris, par exemple, une certaine action dans le monde réel observable et qu'on cherche,ensuite,à en mesurer la rémanence, autrement dit la mémoire, ce que l'on mesure ne nous apprend rien sur la mémoire de la souris,qui demeure bien cachée au tréfond de son système nerveux, mais nous renseigne sur la façon dont fonctionnent ses systèmes de rappels, qui relayent l'information mémorisée,inaccessible à l'expérimentation, à des effecteurs moteurs dont l'action dans le monde exogène à la souris est, en effet, observable et susceptible de mesures. Jusqu'ici on aurait mis en évidence deux sortes de «mémoire» : la «mémoire» à court terme et la «mémoire» à long terme, en fait deux systèmes de rappel à court et long terme.

Une nouvelle terminologie: rappels quasi-instantanés et rappels lents

A mon avis,l'expérimentation animale ne pourra encore,pour fort longtemps,nous renseigner, effectivement,sur les mécanismes de mémoire ; par contre, il est possible que l'auto- observation sur nous-même puisse nous donner quelques idées à propos de ceux-ci. En théorie donc, toute mémoire s'exprime au travers d'un système de rappel et donc même l'auto-observation ne saurait échapper à cette loi.

Cependant,les images désatténuées (ou quelques autres désatténuations en un autre mode) que nous pouvons observer,dans notre espèce,sous l'influence des substances désatténuatrices,nous apprennent que la mémoire en tant que telle doit fonctionner de façon extrêmement rapide car elles peuvent apparaître ou disparaître,en voie Il,de nombreuses fois, en un temps inférieur à la seconde. Les multiples rappels,atténués,que nous faisons, constamment,apparaissent tout aussi vite.

Ils procèdent des mêmes mécanismes fondamentaux mais le phénomène de l'atténuation nous cache,à première vue,cette vérité. Il existe,donc,une première classe de rappels qui sont des rappels quasi-instantanés et que l'on peut mettre en évidence,aisément,en s'auto- observant ou en observant un sujet sous substance désatténuatrice.

Un sujet en désatténuation,à qui on aura présenté une image donnée,pourra la conserver sans efforts dans sa conscience, plus ou moins longtemps, selon sa maîtrise à contrôler ce phénomène: il l'aura donc apprise quasi-instantanément.

Si on procédait à la même expérience dans des conditions ordinaires, là encore l'image rappelée serait tout aussi instantanément présente mais trop atténuée pour pouvoir la décrire avec précision sur le champ. Pour la décrire plus précisément on devra avoir recours à un processus lent d'apprentissage. L'apprentissage normal constitue donc en fait une tentative de maîtrise volontaire d'une désatténuation très faible au travers du sous-système de rappel 1 du Mi.

L'apprentissage quasi-instantané reflèterait ainsi,indirectement,le fonctionnement même des systèmes d'engrammation de la mémoire,tandis que l'apprentissage ordinaire reflèterait le fonctionnement d'autres systèmes,de rappels,fort différents et beaucoup plus lents. Ainsi, dans la classe des rappels quasi-instantanés c'est l'atténuateur qui limite la quantité d'information pouvant être rappelée en un temps arbitrairement défini. Plus l'atténuation est grande et plus long et imprécis sera le rappel et inversement.

Ainsi si un sujet perçoit en un temps t une image désatténuée statique, il aura tout le loisir de la décrire à profusion,et avec précision,mais si cette image subitement s'évanouit,par atténuation,il aura beaucoup de peine à la décrire fidèlement et y introduira de nombreuses distorsions. Un rappel non-atténué procède d'un mécanisme extrêmement rapide et très fidèle tandis qu'un rappel atténué procède du même mécanisme rapide mais peu fidèle en raison de l'atténuation.

Une image désatténuée se perçoit dans toute sa complexité informationnelle sans faire aucun effort de «mémoire» tandis que la même perception atténuée nécessite,elle,un apprentissage lent avant de pouvoir être décrite le plus précisément possible, cet apprentissage mettant en évidence le fonctionnement de systèmes de rappels lents. Cependant dans cette classe de rappels, il n'y a pas que l'atténuation qui joue un rôle prédominant dans la lenteur à ressortir,précisément,une information stockée, mais aussi le transfert à des effecteurs moteurs exprimant le rappel dans le monde réel exogène,transfert s'effectuant obligatoirement au travers d'un lent apprentissage modulant l'expression de ces effecteurs. Dans ce cas l'apprentissage n'est plus du tout quasi instantané mais prend beaucoup de temps à s'effectuer. Si j'écoute une musique quelconque je peux,à chaque instant,me la rappeler de façon atténuée et plus ou moins fidèlement mais je ne pourrais l'exprimer dans le monde réel exogène qu'après avoir appris à jouer un instrument, le solfège, etc.

En conclusion, deux mécanismes fondamentaux modulent les rappels quels qu'ils soient: l'atténuation et l'apprentissage.

La vitesse d'un rappel dépend des mécanismes responsables du transfert d'une information mémorisée à des effecteurs moteurs.

Intuitivement, nous sommes donc acheminés à conclure que mémoire et rappels lents utilisent des procédés tout à fait différents dans leur fonctionnement. Les études antérieures sur la «mémoire» montrent que la synthèse protéique  est partie intégrante des systèmes de rappels lents. Par contre, la complexité informationnelle de ne serait-ce qu'une image statique désatténuée,et sa vitesse d'apparition ou d'extinction,montrent que la synthèse protéique ne peut,en aucun cas,être à la base du mécanisme d'engrammation ou de celui des rappels quasi-instantanés, vu la lenteur des ribosomes à synthétiser une protéine et la quantité impressionnante de bits contenus dans une telle image qui excède,sans doute de fort loin,la quantité de bits contenus dans un petit fragment de protéine en voie de synthèse. Les mécanismes d'engrammation et de rappels quasi-instantanés doivent,donc,se situer à un tout autre niveau d'organisation et faire appel à des phénomènespurement chimioélectriques.

En un autre domaine,rappelons que personne n'a jamais trouvé un «centre» de la "mémoire" mais que certaines structures se sont vues attribuées un rôle dans les phénomènes de rappels (par exemple l'hippocampe) .Penfield a montré, il y a longtemps déjà, que la stimulation d'aires diverses du cerveau chez l'être humain engendre des images, sons, réminiscences diverses, plus ou moins désatténuées, selon l'aire stimulée: aire visuelle pour les images, aire auditive pour les sons, etc. Ceci montre bien que la mémoire est délocalisée, diffuse, ce qui représente un avantage évolutif considérable. Imaginons ce qui se serait passé si la mémoire fût localisée en un point précis du cerveau d'un animal et que cette dernière fût touchée par un accident quelconque; cela eût signifié sa mort immédiate tandis qu'une mémoire diffuse n'entraîne pas,nécessairement,cet inconvénient.

La mémoire est,ainsi,associée à chaque mode sensoriel. Elle se trouve, à mon avis, directement associée à chaque neurone. Cette hypothèse concorderait bien avec ce que l'on sait des systèmes sérotoninergiques et noradrénergiques qui, tous deux, envoient des ramifications,diffuses et extensives,dans l'étendue du cortex, système limbique et cervelet, systèmes qui,selon moi,feraient partie de l'atténuateur. lls serviraient donc, entre autre, à contrôler la quantité d'information endogène libérée autrement,spontanément,par chaque neurone.

Il doit exister dans le système nerveux central humain des voies privilégiées où la mémoire diffuse se connecte aux système de rappels lents. L'hippocampe représenterait une de ces voies de connection.

De la formation des images oniriques

Nous avons déjà dit que le rêve n'existait que parce que les mécanismes de mémoire étaient,intrinsèquement,fort fidèles et que l'évolution avait dû,alors,avoir recours à un mécanisme particulier, l'atténuateur, afin de contrôler,durant l'éveil,cette trop grande fidélité de stockage de l'information qui eût, autrement, nuit aux systèmes biologiques pourvus de tels mécanismes.

Le rêve n'est donc que l'expression de la mise en veilleuse,rythmique et momentanée,de l'atténuateur,la mémoire pouvant,alors,s'exprimer dans toute sa fidélité et complexité,

L'étude indirecte de la mémoire,au travers des systèmes de rappels quasi-instantanés, indique que la mémoire stocke des informations par motifs proches,d'une part,et linéairement,d'autre part.

Si je commande à ma mémoire de me rappeler un instant du passé, je m'apercevrai que je me rappelle non seulement cet instant précis, ce motif informationnel donc, mais des instants précédents et conséquents. La mémoire stocke,donc,une multitude de motifs proches de façon continue, indépendamment de leur appartenance à un certain continuum temporel. Elle forme,ainsi,un réseau intriqué reliant différents motifs proches n'appartenant pas aux mêmes périodes temporelles.

Deux images oniriques,prises en des temps très rapprochés,ne diffèrent quasiment pas dans leur motif général, c'est-à-dire que leur structure informationnelle est quasiment identique à quelques modifications près (on excepte,ici,les transitions catastrophiques inter- modalités). Le sous-système de rappel I I I (Rifat 1980) ,véhiculant les rêves,opère au travers d'un mécanisme très précis, modifiant,le plus souvent,les motifs informationnels qui se suivent continûment, à la différence du sous-système Il qui les modifie très grossièrement au point de ne parfois plus reconnaître quels liens cohérents unissent un motif déterminé au motif conséquent. Le sous-système I I I représente la synthèse des deux mécanismes de mémorisation que l'on peut inférer:manipulations de motifs proches et linéarité. En parenthèse, notons,ici,que la voie d'atténuation I I I semble diffuser aussi à l'état d'éveil, mais tellement atténuée qu'elle n'en est plus perceptible. Il est,cependant,possible de la mettre,parfois,en évidence par auto-observationle soir dans le calme et I'obscurité.

Mais l'image onirique ne reste pas statique -, elle évolue dans le temps. On peut imaginer la succession des images oniriques comme un fleuve qui ne peut faire autrement que de s'écouler dans un sens,en raison des lois du monde naturelle qui l'y contraignent. De même, certaines lois inconnues du système nerveux doivent contraindre une image donnée à «s'écouler», littéralement parlant, en une image proche,et ainsi de suite,d'instant en instant. Une image onirique ne constitue pas toujours un tout invariant dont chaque détail ëvoIue, continûment: parfois un détail évolue plus rapidement que l'ensemble de l'image, ce qui donne ce caractère magique du rêve.

Ainsi je pourrais me promener dans un sentier boisé sans que rien d'appréciable ne se produise jusqu'au moment où je rencontre, par exemple, un rosier. M'arrêtant pour l'observer, peut-être un détail du motif rosier changera,subitement,et donnera toute autre chose. Une image onirique comporte,parfois,de micro-changements discontinus, un peu comme l'apparition soudaine d'un tourbillon sur une eau autrement plane et sans rides. Ces micro-changements,catastrophiques,obéissent toujoursà la logique motifielle du MAP et expriment sans doute de micro-rapports de force dans les structures nerveuses les engendrant.

Chaque micro-variation discontinue d'un motif,autrement continûment variant,constitue un petit événement informationnel apparaissant dans la mosaique du motif en question. Ce petit événement procède toujours de la même logique que les événements plus importants: une évolution motifielle dans le temps. L'étude des images oniriques nous apprend aussi, indirectement,que des motifs proches stockés de façon continue dans le MAP peuvent interagir l'un sur l'autre et donner un nouveau motif inexistant dans le monde réel où les motifs avaient été enregistrés.

Ce phénomène se produit extrêmement fréquemment et donne ce surcroît de complexité que possède le monde endogène par rapport au monde exogène et le caractère de magie qui y règne continuellement. En définitive,les images oniriques varient de la même façon que les motifs de pixélisation de la conscience: à savoir qu'on peut considérer ces phénomènes comme une grille d'événements informationnels divers interagissant, constamment,entre eux, se modifiant selon leurs interactions respectives. Parfois une grande partie d'un motif d'une image donnée fait une transition,discontinue,en un autre motif. Parfois, de petites modifications, d'un élément seulement d'un motif général donné accomplira une transition, chaque transition mettant en évidence la contiguité des motifs proches.

Mais comment définir maintenant rigoureusement un motif ?

Quelques considérations d'ordre général

De nombreuses réactions biologiques sont régulées par des boucles de rétroaction négative. Il serait intéressant de rechercher de telles rétroactions chez les dysdérépixélisés. Par exemple, l'atténuateur pourrait être régularisé en apportant un excès continuel d'une substance exogène fortement désatténuatrice, telles que le d-LSD ou la 2,5 diméthoxy 4- méthylamphétamine.

Le d-LSD se révèle efficace dans certains cas de dysdérépixélisation enfantine (Bender 1970) ; peut-être,se trouverait-il d'autres substances désatténuatrices qui pourraient régulariser le fonctionnement de l'atténuateur chez les dysdérépixélisés.

Par ailleurs, l'observation que le d-LSD peut être utile dans les traitements des enfants dysdérepixélisés pourrait être un indice qu'ils souffrent essentiellement de la dysdérepixélisation type II (et cela ne serait guère surprenant puisque nous avons précédemment remarqué que leur atténuateur cortical était moins efficace que celui des adultes) tandis que les adultes souffriraient plutôt de ladysdérepixélisation type 1.

Il se pourrait également que l'atténuateur soit susceptible de régulation par un apport d'information exogène contrecarant les effets potentiellement dysdérepixélisants d'information endogène désatténuée apparaissant subitement dans la conscience d'un individu : par exemple si un dysdérepixélisé se mettait à ouir des voix on le submergerait de forts stimulus auditifs durant un certain temps. Par rapport aux mécanismes responsables des phénomènes de dysdérepixélisation, seule l'amphétamine donnée à haute dose devrait d'abord exacerber puis diminuer les symptomes dysdérepixélisants. Cet effet a été observé justement chez certains patients et plaide en faveur de l'existence de phénomène régulateurs rétroactifs.

De plus, toute substance ayant le pouvoir d'aggraver momentanément la dysdérepixélisation devrait être expérimentée durant de longues périodes afin de voir si une rémission peut en définitive se produire (amitripylline, yohimbine, bromocriptine, etc.) par phénomène régulateur compensatoire: les anti-dépresseurs tricycliques doivent être administrés longtemps avant d'obtenir un effet thérapeutique.

A propos des tricycliques enfin, j'aimerais mentionner une observation intéressante faite sur trois sujets dont moi-même. Nous avons expérimenté l'effet de l'amitriptylline à une dose quotidienne de deux fois 25 mgr par jour durant une semaine sur deux personnes dont moi- même. Dans mon cas, j'ai remarqué que l'amitriptylline m'induisait,très rapidement,de multiples réminiscences d'un passé lointain, réminiscences qui modifiaient ma perception d'une façon rappelant vaguement les effets du delta 9-tetrahydrocannabinol. L'autre sujet n'a ressenti aucun de ces effets. Par contre,le troisième sujet a expérimenté,en une seule prise, de 25 mgr de trimipramine,et sans avertissement préalable (expérience en simple insu),les mêmes effets que j'avais moi-même noté avec l'amitriptylline. Bien entendu,ces observations ne peuvent prétendre montrer un effet nouveau des tricycliques,mais elles montrent que ceux-ci agiraient sur la mémoire.

Elles montrent,aussi,que les substances psychotropes, quelles qu'elles soient, devraient être expérimentées par les savants qui s'y intéressent. L'auto-observation nous renseigne plus complètement et donc plus objectivement que l'observation sur des sujets cobayes. Chaque neurosavant,intéressé par le système nerveux central,devrait expérimenter toujours également sur lui-même les substances qu'il étudie afin d'en obtenir des observations utiles dont il pourra discuter avec ses collègues ayant effectué les mêmes expériences. Auto- observation sur soi et observation sur les autres devraient aller de pair dans la neuroscience.

Remerciements : je tiens à remercier,ici,de tout coeur,Canyâ Clinkâou qui m'a apporté son aide précieuse et sa gentillesse lors de la genèse de certaines idées ici exposées, alors que j'étais au Royaume de Siam ,avec elle,à Bangkoc,et Kazué Shiikaoua pour son soutien affectueux lors de la rédaction de ce travail qui, sans elle, n'eût peut-être jamais été rédigé

Tirés à part: C. RIFAT

REFERENCES

Bender L. (1970) - in (D.H. Efron ed.). Psychotomimetic Drugs. pp. 265-273 - Raven Press, New York.

Rifat C. (1980). De la structure du rêve à un modèle informationnel de la schizophrénie: l'état dysdérépixélisé désatténué. Agressologie, 21, 3: 117-130